Quand mon poids me prend la tête
Émilie Chauvet

Émilie Chauvet

Psychologue

Article révisé par 

le comité Psychologue.net

Lecture : 7min

Mots-clés

Santé

Quand mon poids me prend la tête…

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Comment devient-on obèse ? Comment s’y retrouver dans cette société d’excès ? Quelles sont les prises en charge les plus adaptées ? Quelques indications de réponse dans cet article.

En 1998, l’OMS parle de l’obésité comme « une épidémie mondiale » et la classe n°5 des problèmes de santé des pays industrialisés. «Epidémie » n’est pas à prendre dans son sens premier du terme mais le phénomène se mondialise tellement que ce terme semble adapté.

L’obésité peut se définir comme une pathologie à la fois sociale et individuelle. C’est un phénomène hybride, difficile à cerner.

Pourquoi ? Car nous vivons dans une société d’opulence où abondent les encouragements à la consommation, mais la minceur la plus svelte constitue l’incontournable modèle de beauté. On peut donc dire qu’il existe une norme de minceur dans un monde d’abondance. Et c’est tout le paradoxe, et il y a donc INCOMPATIBILITE !

Bien que les hommes et les femmes sont tout autant concernés par l’obésité, un nombre supérieur de femmes décide d’une gastroplastie, sans doute parce que les raisons esthétiques les y poussent plus facilement. Cette technique chirurgicale est ressentie comme « une dernière chance ». Cependant, pour qu’il y ait réussite, les axes essentiels sont l’information, la préparation et le suivi tant psychologique que physique. Une double approche est donc nécessaire. Dans l’approche psychologique, l’action du thérapeute doit prendre en compte l’individu non comme porteur d’un seul symptôme, l’obésité, mais dans sa personnalité, sa complexité et surtout sa globalité. Selon le chirurgien, Patrick BERGEVIN, « le tube digestif et l’alimentation sont sous la dépendance du système neurovégétatif, lui-même en prise directe avec les émotions et l’inconscient. L’obésité est en général symptomatique de tensions psychiques. Il paraît donc illogique de ne la traiter qu’avec le bistouri ; négliger le psyché peut conduire à l’échec de la méthode… ».

Associer, en même temps, approche psychologique et hygiène alimentaire est la meilleure voie pour durablement modifier ce qui cause l’excès de poids.

Mais qu’il y a-t-il à voir dans l’obésité d’un point de vue psychique ?

Qu’est-ce qui se cache derrière cet excès de poids ? Pour tenter de trouver des réponses, le thérapeute doit aborder le patient dans sa globalité. L’énergie psychique consacrée à refouler est considérable. Se détacher du passé et/ou du présent douloureux permet d’éviter la répétition. Aborder ce qui bloque crée les conditions pour se donner une chance de faire autrement. En découvrant petit à petit ce contre quoi il se bat, le patient va pouvoir peu à peu aborder son poids comme un symptôme, comme une solution qui a été choisie à un moment donné. Les mots vont être importants ; ils peinent souvent à sortir, « pèsent de tout leur poids » et, sont seuls capables « d’alléger » cette souffrance. Selon moi, le symptôme est l’élaboration d’un compromis, comme dans un rêve, qui est, selon Freud, une manifestation de l’inconscient dans laquelle, la satisfaction est le but recherché. Autrement dit, ce qui est visé, c’est qu’il y ait moins de tensions internes. Les symptômes ont donc un sens. Le rôle du thérapeute va donc être de recenser les divers éléments du contexte dans lequel évolue la personne obèse, et poser avec franchise les problématiques qu’elle doit affronter. L’axe principal de la thérapie va donc être, par la parole, de nommer et symboliser.

Les personnes souffrant d’obésité mangent beaucoup et en permanence. Elles semblent n’être jamais rassasiées. Ce n’est pas la nourriture qui les gêne mais leur poids. L’obésité est bien différente de la boulimie qui est généralement un acte compulsif et où la personne n’est pas forcément en surpoids. On peut associer le recours intempestif à la nourriture à une drogue dans le sens où l’individu perd la liberté de s’en passer. « Manger » devient le souci essentiel de sa vie. Les troubles du comportement alimentaire sont ainsi à lire comme une forme de drogue licite. Il s’agit pour la personne de réussir à apaiser ce corps, et cet esprit qu’il n’arrive pas à calmer avec ses propres ressources.
Dans notre société d’excès, l’obésité se développe. La peur du vide, du creux occupe une large place dans notre époque. Il faut toujours tout remplir : l’agenda, le frigo, même la bouche des bébés, avec la tétine ou le biberon, lorsqu’ils pleurent…L’addiction précise cette notion importante d’ajout, de plus. En effet, la personne obèse ne cherche pas à grossir, elle ne veut que manger à sa faim. « Creuser davantage pour remplir le vide » comme peuvent dire certains patients.

C’est parce qu’il y a manque, qu’il y a désir ; le désir de manger. La nourriture est ainsi considérée comme un « objet transitionnel » qui rassure la personne en contrecourant ses angoisses dépressives et permettrait ainsi de vivre une absence. Manger devient un désir de satisfaction immédiate et répétitive pour camoufler de profondes perturbations narcissiques liées au déni de séparation. La sensation du manque, dans la perception de soi, est fondamentale. La ressentir, la supporter ou tenter de l’effacer sont des attitudes bien différentes. Selon moi, le manque est recherché par la personne obèse (comme toutes personnes addictes et comme tout à chacun), mais la sensation de manque, elle, n’est pas supportée. Car si ressentir le manque, c’est de se sentir vivant, l’intensité de ce manque est bien trop importante. Il y a donc un paradoxe : l’objet censé combler est sans cesse recherché. Rétablir la personne dans son manque, c’est donc de la sortir de sa dépendance. Il est donc important de ne pas supprimer le manque mais de « l’apprivoiser ».

Pour maigrir, si l’on a un surpoids ou une obésité, il faut d’abord s’aimer, avoir le désir de se faire du bien. Une régulation devient alors possible ; les règles de diététique vont la rendre effective. Mais avant cela, la personne doit se demander ce qui est bon pour elle : garder ou perdre ce poids. Car pourquoi un tel effort si l’on n’a pas vraiment envie d’abandonner ses kilos ? En effet, de nombreuses femmes se protègent avec leurs kilos en trop d’une féminité et d’une sexualité vécues comme dangereuses. Ou encore, l’obésité peut être la réponse psychosomatique à un traumatisme vécu durant l’enfance ou survenu plus tard. Alors que faire si ce traumatisme resurgit brutalement suite à la perte de ses kilos « protecteurs » ? Le psychologue va donc accompagner la personne dans l’émergence du contenu latent d’une manifestation physique, pas encore interrogée, interprétée. Certains patients ne sont pas sans savoir qu’autre chose est en jeu mais ils n’ont pas les mots pour le dire. La thérapie offre la possibilité d’être entendu et reconnu.

L’essentiel n’est ni de satisfaire aux normes IMC, ni de poser dans les magazines, mais de pouvoir être en forme, se regarder dans un miroir et être à peu près satisfait de la personne qu’on y voit, d’accepter de s’y reconnaitre. Mais il est vrai que la plupart du temps, personne ne se voit tel qu’il est ! On peut se sentir plus jeunes à certains âges ; seul le miroir nous rappelle à la réalité de temps en temps. Plus la personne est investie narcissiquement et plus elle se regarde attentivement et fait attention à elle. Il y a donc un bon narcissisme à renforcer pour que la personne obèse maigrisse durablement et passe du plaisir à se regarder. Modifier quelque chose dans le rapport à soi-même est la condition sine qua non de la réussite définitive de l’amaigrissement.

L’autre poids terrible chez la personne obèse est la solitude. Sénèque, dans ses lettres à Lucilius, dit « Nombreux sont ceux qui trouvent la vie non pas amère…mais très vide ». Entrer chez soi, mais quoi faire ? Des patients affirment « qu’il y a toujours quelque chose qui leur manque » : tendresse, affection…On y voit ici un rapport très net entre les émotions et la nourriture.

Certains peuvent, au contraire, adopter une attitude rebelle : la personne veut agir selon son bon désir, donc à l’encontre des conseils de bons sens proférés de tout côté, surtout à la maison.

Il n’existe donc pas de « personnalité obèse », les personnes obèses n’ont en commun que les kilos en trop. L’obésité est multifactorielle : une succession de causes est nécessaire. En retraçant l’histoire du patient, nous pouvons néanmoins, constater que les situations de rupture sont régulièrement évoquées : amoureuse, le départ de chez les parents…

Enfin, le deuil « d’un gros corps », dans lequel la personne a vécu de longues années, est un processus. Un certain rythme est à trouver, adapté à chacun. Est-ce moi ? Qui est-ce, ce corps ? Ce sont des questions à résoudre pour perdre véritablement ces kilos en trop. Avec l’aide du thérapeute, les kilos sont remplacés par les « mots pour le dire » : briser le silence de la souffrance. La parole devient le produit de substitution à la nourriture.

Quelques conseils simples

J’espère que cet article vous aura plu et vous permettra de voir l’obésité autrement que vous soyez concerné ou non, directement ou indirectement. Je souhaite terminer en donnant quelques conseils simples pour les personnes souffrant d’obésité :

  • Manger « le matin comme un roi », le midi « comme un prince », le soir « comme un mendiant ».
  • Prendre son temps, manger doucement en mâchant, ne maigrir ni trop, ni trop vite. Changer d’hygiène de vie. Se rappeler qu’une rechute fait partie de la démarche (un enfant qui apprend à marcher, tombe, se relève et repart).
  • Oublier les régimes. S’approprier les connaissances diététiques et les assimiler. Se dépenser physiquement. Dormir.
  • Se prendre en charge. Entreprendre un travail sur soi, puisque les causes psychologiques sont largement présentes.
  • Ne pas s’enfoncer dans la spirale de l’effet « yo yo ». Il est plus difficile de perdre que de prendre du poids, le surpoids mène à l’obésité. Plus on s’y prend tôt, mieux c’est.
  • Se faire confiance. Croire au bon sens.